« En traçant le long des grands axes, il se cale sur cette sensation dont il se gonflait avant les matchs. Quand on marche avec des crampons dans les couloirs d’un vestiaire, on fait un bruit de métal, on se sent blindé, intouchable, pleinement concentré sur soi. Mais rien n’y fait, il y a toujours un regard qui le rattrape, une sensation de détresse exotique chez une femme en boubou, un vendeur de cours des halles qui lui lance une offre, une humanité tellement perdue dans ces villes sans contour qu’un simple sourire le désole ou le bouleverse. Paris est une des plus petites capitales du monde, encerclée et ronde, quasi parfaite, mais dès lors qu’on l’agglomère avec toutes les banlieues qui la contiennent, elle devient infinie, un océan de communes à perte de vue… C’est alors qu’après une heure de marche il monte dans un des bus qui le doublaient depuis le début, là-dedans ça joue bruyamment, ça s’invective, il y a une violence dans la façon qu’ont ces mômes de se chahuter, une agressivité même pas préméditée, une envie de déflagrer que lui-même ressentait à leur âge, seulement il avait des endroits pour absorber les chocs, des sentiers de VTT, des routes désertes, des vallées à perte de vue, l’environnement ne souffrait pas de leurs crises d’adolescent. Tandis qu’ici on n’en finit pas de se gêner, les chocs on n’en finit pas de les répercuter. Debout dans ce bus il a du mal avec cette bande de scolaires qui foutent le bordel, c’est que l’espace les comprime, personne ne dit rien, y aurait que l’humour pour les désamorcer, la discussion, mais aujourd’hui il n’en a pas envie, même pas de les engueuler, pour qu’ils le prennent comme une provocation et que le ton monte, pourtant il le sait, il suffirait d’en choper un, de l’isoler du groupe, par exemple ce petit con devant lui qui fait de la barre fixe, qui se suspend et qui fout des coups de pied aux autres, sans que personne ne réagisse, ils lui tapent tous sur le système…
– T’arrête!
Ils le regardent comme s’il était fou, comme un vieux con qui joue les cow-boys, il sent que ça oscille, ils soutiennent son regard, ça en reste là.
A partir de maintenant il se raccroche à un objectif, retourner vers le fleuve, parce qu’il est complètement paumé dans cette métropole à laquelle il ne comprend rien, la Seine c’est son seul repère, l’unique faisceau de nature libre, et elle-même n’en finit pas de quitter Paris. »
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« Parfois, à de petits carrefours inattendus de la vie, on découvre que depuis un bon bout de temps déjà on avance sur un fil, depuis des années on est parti sur sa lancée, sans l’assurance qu’il y ait vraiment quelque chose de solide en dessous, ni quelqu’un, pas uniquement du vide, et alors on réalise qu’on en fait plus pour les autres qu’ils n’en font pour nous, que ce sont eux qui attendent tout de nous, dans ce domaine les enfants sont voraces, avides, toujours en demande et sans la moindre reconnaissance, les enfants après tout c’est normal de les porter, mais elle pensa aussi à tous les autres, tous ceux face auxquels elle ne devait jamais montrer ses failles, parce qu’ils s’y seraient engouffrés, ils ne lui auraient pas fait de cadeaux. Ils sont rares ceux qui donnent vraiment, ceux qui écoutent vraiment. »
Repose-toi sur moi, Serge Joncour
J’aurais effectivement aussi pu choisir celle-là… 😉
Je ne connais pas mais ça me donne envie de découvrir ce livre.
Merci Mathilde pour ce partage.
Et vivement les vacances que je puisse lire, en ce moment je n’arrive pas à finir le dernier Jonathan COE par manque de temps et d’énergie. Et bonnes fêtes de fin d’année!
reçu pour mon anniversaire, c’est ma lecture du moment et je savoure
Bonjour Mathilde, suite à ton article j’ai une petite histoire à raconter.C’est un écrivain magnifique que j’ai découvert grâce à mon mari. Mon mari est couvreur et un jour il devait passer sur le toit par l’appartement de Mr Joncour. Ils ont discuté ensemble , mon mari a parlé de moi et de ma passion pour la lecture et Mr Joncour a dédicacé un de ses romans pour moi » L’écrivain national ». J’étais très heureuse de le lire et depuis je ne manque aucun de ses livres . Ce roman est sur ma liste de Noël.
Quelle belle anecdote… C’est fantastique de découvrir cet auteur dans d’aussi jolies circonstances!
Du même auteur, je te recommande L’amour, sans le faire, que j’avais trouvé très beau.
Gros bisous
C’est par ce livre que j’avais découvert l’auteur, et je l’ai préféré à celui-ci!
je viens de finir celui-ci. J’ai bien aimé la réflexion sur la peur et sur l’ambivalence des personnes ( parce que du coup, les 2 se manipulent ;-))